Le résultat des élections est il une surprise ?
A l’évidence, aucun analyste n’avait prévu la victoire d’Hassan
Rohani au premier tour de l’élection présidentielle [vendredi dernier].
Mais il ne faut pas oublier que l’Iran est un pays imprévisible qui
puise sa créativité et son esprit d’innovation dans une culture poétique
inaccessible aux prévisions mathématiques.
Les réformateurs l’ont ils emporté ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la distinction entre
réformateurs et conservateurs s’avère peu opérante en Iran. La preuve en
est que parmi les six candidats en lice, cinq étaient classés ultraconservateurs ou conservateurs pragmatiques. Il
s’agit de Saïd Jalili, d’Ali-Akbar Velayati, de Mohsen Rezaï d’Hassan
Rohani et de Mohammad Ghalibaf. Seul un candidat, Seyed Mohammad
Gharazi, était qualifié de modéré. A ce compte, les Iraniens avaient mathématiquement 83% de chances d’élire un conservateur. C’est oublier que le monde iranien est marqué depuis des siècles par un rêve qui n’a rien de conservateur, celui
de réformer le monde musulman en prenant sa tête. Mais ce rêve
souterrain, qui hante la plupart des hommes d’État iraniens se heurte à
deux obstacles : l’Iran n’est ni Sunnite ni Arabe. Il est par conséquent
tenu à l’écart par les pays musulmans qui s’effraient de son
inépuisable créativité. Devant ce rejet, les Iraniens sont tiraillés
entre deux types d’évolutions : soit un basculement vers l’Occident ou à
l’inverse une consolidation des liens avec l’Asie. Même si les Iraniens
se perçoivent comme des Occidentaux, ils ont été contraints par les
sanctions récentes à se rapprocher simultanément de la Russie et de la
Chine pour former une alliance plastique que l’on pourrait qualifier de Nouvel Empire Mongol.
Il conviendrait, par conséquent, de repenser la distinction entre
réformateurs et conservateurs au profit d’un nouveau gradient
Occident/Orient. Or cette nouvelle distinction bouleverse les schémas
établis car il n’est pas plus conservateur de se tourner vers la Chine
que vers l’Europe. La véritable question est par conséquent la suivante :
qui l’a emporté entre les Océanides – partisans d’un rapprochement avec la puissance maritime américaine – et les Gengiskhanides –
qui souhaitaient un rapprochement avec la Russie et la Chine. Les
Iraniens nous ont répondu aujourd’hui de façon totalement inattendue
avec la victoire des Iranides un tiers parti qui souhaite le retour à une politique d’équilibre internationale. Aujourd’hui, le Nouvel Empire Mongol
connaît un vacillement et ce n’est pas tout à fait un hasard si les
chancelleries russe et chinoise ont du mal à se positionner ce soir sur
le résultat de l’élection.
Quel est le profil du nouveau président ?
Parmi les six candidats, les hommes ayant exercé des fonctions
diplomatiques importantes étaient surreprésentés : il s’agissait de Saïd
Jalili, ancien Vice-Ministre des Affaires Étrangères, d’Akbar Velayati
ancien Ministre des affaires étrangères, et d’Hassan Rohani qui a une
grande expérience de la diplomatie puisqu’il a été personnellement en
charge du dossier nucléaire. A l’évidence, ces diplomates l’ont emporté
sur les spécialistes de l’ordre intérieur
Peut on espérer un règlement de la question nucléaire ?
Il faut s’attendre à une inflexion sur ce point. Nous avons
aujourd’hui un signe fort. Même s’il est improbable qu’Hassan Rohani
remette en cause la volonté de l’Iran de mettre en place une filière
nucléaire, les négociations peuvent avancer. Leur échec actuel
s’explique en partie par la très grande difficulté pour les Occidentaux à
prendre au sérieux les spécificités culturelles et juridiques de
l’Iran. A la différence de la France, l’Iran a été occupé pendant près
de mille ans par des puissances étrangères. Cette occupation a marqué en
profondeur ses élites qui ont mis au point des procédés de négociation
extrêmement sophistiqués afin d’assurer leur survie politique. Or,
depuis la découverte des hydrocarbures, l’Iran est devenu le centre
géopolitique de la planète contrôlant simultanément les richesses
énergétiques de la mer Caspienne et du Golfe Persique. Cela amène les
négociateurs iraniens à réfléchir à chaque mouvement diplomatique.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’Iran n’a pas donné le
signal d’une proche normalisation. D’un point de vue intérieur, il a
opéré un rééquilibrage en se repositionnant au centre. Dans ces
circonstances, il ne fait guère de doute qu’Hassan Rohani n’acceptera de
ralentir la nucléarisation de l’Iran qu’à condition que la communauté
internationale accorde à l’Iran le statut de puissance régionale. Car au
fond, par delà ses difficultés économiques, l’Iran aspire par dessus
tout à une dignité retrouvée sur la scène internationale.
Thomas Flichy
Historien du droit et des institutions
Historien du droit et des institutions
Source : Realpolitik.tv.
Crédit photo : DR.http://fr.novopress.info
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